21 mars 1916, il y a 100 ans exactement. La blessure à laquelle je dois la vie.



Une fois n'est pas coutume, je me permets d'insérer un message personnel dans ce blog dédié au cyclisme. Je souhaite rendre hommage à mon grand-père qui a été blessé le 21 mars 1916, il y a exactement 100 ans aujourd'hui. 

Le 21 mars 1916 Henri D. mon grand-père, âgé de 21 ans, montait la garde en première ligne au bois d’Apremont, au lieudit « le Bois Brûlé » quand il reçut en pleine face une balle lui fracassant la mâchoire droite.
Avant de continuer, voici quelques précisions.
Grand-père n’aurait pas dû monter la garde à cette heure-là. Mais à la suite d’un ordre d’un officier disant que les soldats de cantine devaient monter la garde comme les autres, un camarade ayant rouspété, Grand-père a accepté de changer son tour. Cela lui a valu cette blessure mais lui a sauvé la vie. Car en juillet 1916, alors qu’il était en convalescence, son régiment montait dans la Somme, et là, peu de soldats en sont revenus …
Voici quelques souvenirs précis ayant précédé le moment de la blessure : environ une demi-heure avant, Grand-père a eu la visite de trois officiers d’infanterie et d’artillerie qui lui ont demandé si tout allait bien et s’il n’apercevait rien de louche en face, chez les Allemands. Grand-père a passé la tête au créneau et dit que tout allait bien. Puis les officiers sont repartis et Grand-père a regardé de nouveau par le créneau. C’est à ce moment-là qu’un Allemand qui le guettait a tiré sur lui. 
Il n’a pas perdu connaissance et a essayé de se relever mais il ne le pouvait pas, ses dents tombaient et il perdait beaucoup de sang. Il s’est trainé à quatre pattes vers ses camarades en arrière et là, on l’a installé sur un brancard et emmené à travers les boyaux jusqu’à l’ambulance. Ce trajet a duré environ une heure car les boyaux ayant des angles droits, il fallait lever le brancard au-dessus pour passer les angles. Et les Allemands tiraient sur le brancard devenu visible. Ensuite transport en ambulance jusqu’à Commercy avec trois autres de ses camarades blessés. Il souffrait énormément et par moments il perdait connaissance. Il ne pouvait pas parler, les os de sa mâchoire s’étant bloqués.
Une fois arrivé à l’hôpital on l’a fait asseoir et une infirmière tout de blanc vêtue est arrivée et lui a dit « voulez-vous me suivre mon ami ? ». Ironie, il ne pouvait se tenir debout et elle, de peur de se salir, ne voulait pas le toucher … Ce souvenir était encore si vivace 50 ans plus tard que Grand-père ne pouvait pas le supporter.
Il s’est accroché au mur et lentement il a suivi.
Arrivé dans la salle un tout jeune docteur l’a regardé puis lui a dit « cramponne-toi petit, je vais te faire souffrir » et il a extrait de la mâchoire de Grand-père un morceau de maxillaire et des débris d’os. Grand-père souffrait depuis tant d’heures que cela ne lui a pas paru plus terrible.
La première nuit fut très dure. Un de ses camarades mourut dans la nuit, et lui-même ne put dormir tant les souffrances étaient vives.
Ensuite ce fut l’opération, la convalescence, etc …
Un autre souvenir : le 22 mars il réussit à écrire (comment, il ne se rappelle pas) à sa mère afin qu’elle prévienne son père Maurice D. officier territorial qui était également sur le front dans le secteur de Bar le Duc. Le 25 mars Maurice arrivait près de son fils.
Curieuse coïncidence : dans le train qui transportait Maurice, voyageait un officier, auquel Maurice a expliqué que son fils venait d’être blessé .Celui-ci lui a demandé où et à quelle date et lui a dit « votre fils est un grand blond, je l’ai vu environ une demi-heure avant qu’il ne tombe et je suis allé le voir à l’hôpital » Grand-père ne se souvenait pas avoir vu cet officier à l’hôpital mais il faut dire qu’il était dans un état assez grave. 

Ce récit m’a été fait en novembre 1968, à l’occasion du 50ème anniversaire de l’armistice. C’est la seule fois que mon grand-père a évoqué la Grande Guerre devant sa famille et il l’a fait pour moi, l’aîné de ses petits-fils.
Ce récit est directement basé sur les notes que ma mère avait prises ce jour de novembre 1968. 
Grand-Père avait probablement édulcoré certains passages de son récit pour l'adapter à ce que pouvait entendre et comprendre un enfant de 9 ans. 
Son régiment se trouvait au niveau du saillant de St Mihiel, 35 km au sud de Verdun. Les Allemands essayaient d’élargir ce saillant qui leur aurait permis de contourner Verdun par le Sud. Il fallait absolument défendre cette position pour protéger Verdun. 
Merci Grand-Père pour cette leçon de courage et pour tout ce que tu nous as apporté. 

Pierre-Yves  

Voici une carte du secteur à la date du 21 février 1916 (premier jour de l'offensive allemande sur Verdun)
Et un zoom sur le secteur de St Mihiel et Apremont

 
ci-dessous : un poste de guet allemand (photographie de 2008)

Un boyau allemand (photographie de 2008) .On remarque le tracé en zig-zag. Les boyaux français avaient les mêmes zig-zags pour les mêmes raisons évidentes.

Ci-dessous la tranchée française (en 2008)


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